Alban John KRAILSHEIMER
Armand-Jean de Rancé, abbé de la Trappe
Trad. H. de Seréville. Cerf, coll. « Histoire », 2000, 448 p., 229 F.

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Lectures spirituelles

Voici un fort bon ouvrage pour qui s'intéresse à l'histoire du XVIIe siècle français, à celle de l'ordre de Cîteaux, à celle de la vie spirituelle, à celle surtout de Rancé, mort il y a trois siècles et dont la réforme de son abbaye de la Trappe irrigue encore l'ordre cistercien, en particulier en France. L'auteur est certainement le meilleur connaisseur de Rancé aujourd'hui, et ses études, déjà nombreuses, ont largement contribué à renouveler l'image que nous en avions. Il avait donné une édition de sa Correspondance (4 vol., Cerf, 1993). Ici, il s'en fait le biographe.
Trois parties s'articulent heureusement : le parcours chronologique de la vie de Rancé, son influence dans le « cloître » (c'est-à-dire non seulement à la Trappe et dans l'ordre cistercien, mais aussi parmi les religieux et religieuses d'autres ordres), et enfin ses contacts, surtout épistolaires, avec le monde de son temps (prélats, clergé, famille, hommes et femmes « de qualité »).
L'ouvrage s'achève sur deux études : Rancé et les jansénistes, et ses « leçons spirituelles ». Cette dernière étude est une bonne conclusion. Elle ébauche à grands traits la spiritualité de l'abbé de la Trappe : l'homme se trouve nécessairement tiraillé, divisé, entre l'amour de soi et l'amour de Dieu, entre les attraits du monde passager et l'éternité. Les conflits sont inévitables. La réforme de la vie extérieure, des « moeurs », ne suffit pas ; la vraie conversion est intérieure : c'est celle du coeur qui en vient à ne plus vouloir que Dieu, sans partage. Là seulement, l'homme trouve la paix. Rancé sait adapter ces quelques principes, qu'il a d'ailleurs en commun avec beaucoup de spirituels contemporains, aux différents états de vie, et même aux états de chacun de ses correspondants.
Rancé est un authentique directeur spirituel, et ce n'est pas la moindre révélation de cette biographie que de nuancer fortement l'image d'austérité outrancière et quelque peu mortifère que la postérité, et surtout le romantisme, ont forgée de lui.

André Derville